Le changement climatique est un défi majeur pour l’économie tunisienne et une contrainte à la durabilité de l’activité agricole. Caractérisée par un climat aride à semi-aride sur plus de 80% de son territoire et une pénurie croissante des ressources en eau, la Tunisie demeure particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique et figure au 34e rang selon l’Indice de vulnérabilité physique au changement climatique (Ipvcc) parmi 192 pays du monde (Ferdi, 2019).
Le degré élevé de la vulnérabilité s’explique essentiellement par l’indice de l’aridité, au regard duquel, la Tunisie est considérée comme le cinquième pays au monde le plus vulnérable au risque accru de sécheresse et de déficit hydrique. En effet, le changement climatique engendrerait des pertes significatives pour les principales cultures cultivées en Tunisie, notamment les céréales, les olives et les dattes mettant en péril l’agriculture tunisienne, avec la possibilité d’une diminution annuelle de sa production de 0,5% jusqu’en 2050.
L’évaluation des risques économiques potentiels associés au changement climatique doit servir d’outils d’aide à la décision pour orienter les politique et les mesures d’atténuation et d’adaptation au dérèglement climatique en Tunisie. A cette fin, le modèle macroéconomique «Gemmes-Tunisie», développé conjointement par l’Agence française de développement et l’Institut tunisien de compétitivité et des études quantitatives, a fourni une analyse intégrée des effets combinés du changement climatique sur l’économie tunisienne et le secteur agricole en tenant compte des interactions complexes entre les risques climatiques, les dynamiques macroéconomiques et les variables financières et monétaires.
De nouveaux horizons pour la recherche
Il s’agit d’un modèle macroéconomique de type Stock-Flux Cohérent (SFC) avec une dynamique inter-temporelle en temps continu, une rétroaction entre la sphère réelle et la sphère monétaire et financière, un déséquilibre des marchés et une cohérence entre les stocks d’une part, et les transactions réelles et les flux financiers d’autre part. Ce type de modélisation est à même d’ouvrir de nouveaux horizons pour la recherche sur les effets potentiels du changement climatique et des enjeux de transition environnementale et énergétique en Tunisie.
Afin d’évaluer le coût de l’inaction face au changement climatique et ses retombées sur l’économie tunisienne, plusieurs scénarios ont été élaborés : un scénario Business As Usual (BAU) et deux variantes du scénario climatique : un scénario à inflation faible (RCPLI4) et un scénario à inflation élevée (RCPHI5). Les résultats ont montré que les effets seraient substantiellement plus marqués sous l’hypothèse d’une inflation mondiale des denrées alimentaires plus élevée.
Par rapport au scénario BAU, les résultats montrent une perte du PIB nominal, comprise entre -4% et -11% du PIB en 2050 par rapport à 2020, selon le scénario du changement climatique et une baisse annuelle de la production agricole de -0.5% jusqu’à 2050.
En outre, le déficit courant s’aggraverait et atteindrait des niveaux élevés compris entre -8.5% et -11.1% du PIB à l’horizon 2050.
Par ailleurs, les investissements hydrauliques projetés dans le cadre de la « Stratégie Eau 2050» coûteraient environ 1,1 % du PIB par an. Leur financement serait réparti à parts égales entre le secteur public et le secteur privé, avec un financement public provenant uniquement de sources externes et assorti d’un taux d’intérêt fixé à 1,7 %. Les résultats montrent que les bénéfices tirés des grands investissements destinés à réduire le déficit hydrique dû au changement climatique d’ici 2050, combinés à une croissance limitée du secteur agricole et une amélioration de la productivité de l’eau dans ce secteur, resteraient négligeables et auront un impact négatif sur la balance commerciale et la balance courante.
Une politique d’adaptation du secteur irrigué s’impose
En revanche, selon un scénario d’adaptation intégrée « Scénario Eau et développement – WDS», intégrant des politiques d’économie d’eau dans tous les secteurs, une politique d’adaptation forte du secteur irrigué et un investissement public efficace dans un effort majeur, visant à stimuler la croissance de la productivité, permettraient, d’une part, de résoudre le problème de pénurie d’eau à moyen et long terme et d’améliorer, d’autre part, la trajectoire de développement économique de la Tunisie, ainsi que la maîtrise des déséquilibres internes et externes du pays. Cette approche pourrait également maintenir l’inflation en dessous de 4 %, doubler potentiellement le PIB par habitant, réduire à plus de moitié le déficit public et diminuer la dette publique de 40 % d’ici 2050. Compte tenu des stratégies nationales à l’œuvre, il est essentiel de stimuler les investissements dans le secteur hydrique, dont notamment la construction de stations de dessalement et des stations d’épuration des eaux usées et la modernisation et l’entretien des infrastructures hydrauliques, de diversifier les sources de financement pour surmonter les défis liés au financement.
Des choix de politique publique s’imposent pour répondre aux effets néfastes du changement climatique et améliorer la résilience de l’économie tunisienne à moyen et long terme pour la mise en œuvre des politiques d’adaptation, de promouvoir l’innovation, la recherche et développement et la technologie et sensibiliser tous les acteurs économiques à l’importance de la gestion efficace de l’eau.
Source : Itceq
(« Effets macroéconomiques du changement climatique et enjeux d’adaptation »)